L'heure juste
MAI 2024
VUES SUR LE BAPE
TROUSSE PÉDAGOGIQUE LE BAPE À L'ÉCOLE
Comme dans la vraie vie
Avez-vous entendu parler du BAPE à l’école? Voici l’occasion de découvrir cette trousse pédagogique originale, à travers le regard de deux personnes impliquées dans son développement ainsi que d’un enseignant qui a eu la chance de l’expérimenter en primeur.
Imaginez-vous dans la peau d’une ou d’un élève de 4e ou 5e année du secondaire (ou dans votre propre peau, si c’est votre cas). Votre enseignant de français vous annonce que, pour développer et évaluer vos compétences en lecture, en écriture et en communication orale, vous participerez à une simulation d’audience publique du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Malade, non? Eh bien! C’est ce que la trousse pédagogique Le BAPE à l’école propose.
«L’objectif est de faire connaître le BAPE, mais aussi, de permettre aux jeunes de prendre position sur l’avenir d’un lieu d’enfouissement technique (LET) dans une municipalité fictive. C’est un jeu de rôles pour comprendre les différentes étapes d’une audience publique», explique Christian Giguère, directeur du Centre de développement pour l’exercice de la citoyenneté (CDEC).
En 2018, son organisme conclut un partenariat avec le BAPE, dans l’objectif de favoriser la participation publique. Ils ont l’idée d’adapter pour les élèves du secondaire une simulation d’audience destinée aux étudiantes et étudiants du cégep et de l’université. Marie-Ève Bibeau, enseignante de français au secondaire, se joint à l’aventure à la suite de l’École d’été de l’Institut du Nouveau Monde de 2019, où elle prend part à une simulation d’audience publique du BAPE. Heureuse de son expérience, elle accepte de s’impliquer dans le projet. «Dans les cours de français de 4e et 5e année du secondaire, on travaille l’argumentation, la prise de position, la prise de parole en général. J’ai tout de suite vu le potentiel de mener une simulation d’audience publique avec les élèves. Les liens pédagogiques étaient clairs», se souvient-elle.
La démocratie participative, vous connaissez?
Pour Marie-Ève Bibeau, c’est aussi une belle occasion de faire découvrir aux ados un autre pan de la démocratie. On leur répète qu’ils sont les adultes de demain et qu’à l’âge de 18 ans, ils pourront voter. Toutefois, à 15 ou 16 ans, ils veulent être entendus et contribuer à la société. Avec le BAPE, ce n’est pas dans deux ans qu’ils peuvent s’exprimer, c’est maintenant, observe-t-elle. Au moment de tester la trousse, les élèves sont d’ailleurs agréablement surpris par ce qu’ils découvrent. «Je ne savais pas qu'on pouvait donner notre avis sur des projets d'une autre façon que par des pétitions», lui avoue un de ses élèves. «Le projet m’a démontré que l'avis des citoyens compte pour nos dirigeants», se réjouit un autre.
Christian Giguère remarque pour sa part que la simulation amène les jeunes à prendre position à partir de faits, de données scientifiques et des principes du développement durable. «Ils doivent développer leur sens critique, leur prise de parole articulée et réfléchie, écrire un texte, poursuit-il. Une fois sortis de la classe, ils pourront utiliser ces compétences dans la vie de tous les jours. S’il y a un BAPE près de chez eux, ils auront les habiletés pour y participer, ils pourront exercer leur citoyenneté.»
Je pense que les jeunes ont trouvé un sens à l’école quand ils ont testé la trousse. Ce projet les a beaucoup animés.
Des tests en temps de pandémie
Marie-Ève Bibeau met la trousse à l’épreuve une première fois avec deux groupes du programme d’éducation intermédiaire de l’école Joseph-François-Perreault, à Québec, en novembre 2020. Puis, après quelques modifications, elle l’expérimente à nouveau avec deux groupes du profil régulier en avril 2021. Un exercice complexe en temps de pandémie, avec les cours à distance et les restrictions en classe.
N'empêche, le jeu de rôles a un effet positif sur ses troupes. «Je pense que les jeunes ont trouvé un sens à l’école quand ils ont testé la trousse, souligne Christian Giguère. Ce projet les a beaucoup animés.» Rappelons-nous qu’à l’époque, les enseignants sont souvent confrontés à des jeunes qui ne se présentent pas sur la plateforme ou qui éteignent leur caméra. Les élèves participant au développement de la trousse demeurent, eux, très motivés. Beaucoup se déguisent pour jouer des représentants de la Ville, d’un regroupement de citoyennes et citoyens, de l’initiateur, d’un organisme environnemental, de la chambre de commerce, etc.
Marie-Ève Bibeau abonde dans le même sens: «Les élèves ont eu du plaisir. Certains se sont dévoilés à travers cet exercice. Ça a amené un côté ludique en classe.» Au fil de la simulation, ils sont heureux de choisir leur camp, leurs arguments et, surtout, d’apprendre quelque chose d’utile, de concret. «Ce qui revient toujours dans le discours des élèves du secondaire, c’est qu’ils ont l’impression que l’école, ça ne sert à rien, tandis que, là, on faisait des liens directs avec la réalité», ajoute-t-elle. Parmi les commentaires recueillis, l’une des élèves affirme: «J'ai vraiment aimé que le projet soit une simulation du BAPE, qu'il y ait des audiences comme si nous étions vraiment au BAPE.»
Ce qui était intéressant, c’était d’aller chercher de vrais extraits, de discuter des forces et des défis des intervenants. Ça a eu un bel impact sur les élèves, qui étaient mieux outillés pour améliorer leur prise de parole devant public.
Pourquoi le cours de français?
La mise en œuvre de la trousse permet de confirmer que le meilleur moyen de faire entrer le BAPE à l’école, c’est le cours de français. Pourquoi? En raison des trois compétences qui y sont développées: lecture, écriture et communication orale. En effet, une simulation d’audience publique permet de travailler chacune d’elles.
D’abord, les élèves doivent se renseigner sur le projet en lisant l’étude d’impact, ce qui leur permet de travailler leurs stratégies de lecture. Il leur faut ensuite préparer leurs questions pour la première partie, ou encore, la présentation d’un mémoire pour la deuxième partie. Une belle occasion de pratiquer la communication orale, la prise de parole. Enfin, ils ont à rédiger un mémoire, donc, à perfectionner leurs habiletés rédactionnelles. «Ce qui était intéressant, c’était d’aller chercher de vrais extraits, de discuter des forces et des défis des intervenants. Ça a eu un bel impact sur les élèves, qui étaient mieux outillés pour améliorer leur prise de parole devant public», évalue Marie-Ève Bibeau.
Il faut dire que la trousse tient compte des objectifs pédagogiques du programme scolaire. Elle contient d’ailleurs plusieurs grilles d’évaluation. C’est du clé en main pour les profs. On y retrouve aussi un guide de l’enseignant et plusieurs annexes, dont un modèle de décret ministériel, de l’information sur les principes de développement durable, une étude d’impact fictive, des fiches-personnages, etc.
Un prof et des élèves emballés
À l’automne 2021, Christian Giguère et Marie-Ève Bibeau présentent Le BAPE à l’école à l’occasion du Congrès de l’Association québécoise des professeur(e)s de français. Olivier Bruchesi Boucher, enseignant de français au secondaire, désire aussitôt expérimenter cet outil avec ses élèves de 5e année du secondaire de l’école Chomedey-De Maisonneuve, à Montréal. «J’ai été charmé par ce projet parce que je trouvais extrêmement signifiant pour les jeunes d’utiliser les compétences développées en classe dans un contexte authentique. Le fait de voir sur quelles tribunes ils pouvaient exercer leur savoir-faire donnait un sens aux apprentissages du programme de formation», précise-t-il.
Il en parle donc à Christian Giguère et Marie-Ève Bibeau, qui lui permettent d’utiliser la trousse en primeur. «Les élèves ont aimé ça, et moi aussi! Ils ont été ravis par la simulation, le fait d’avoir un rôle à jouer, de faire partie du village de Sainte-Paix, d’être unis autour d’un enjeu commun, se rappelle-t-il. Ils ont été surpris de voir les tribunes réelles de l’argumentation, que ce soit les lettres ouvertes publiées par les citoyens, les mémoires remis au BAPE, la participation aux audiences. C’était hyper engageant et passionnant!»
Selon lui, il est rare que, pour enseigner la communication orale, les professeurs aient accès à des expériences réelles d’argumentation en contexte citoyen, à des exemples de prise de parole citoyenne planifiée ou spontanée, professionnelle ou amatrice. Or, la trousse propose des extraits vidéo qu’il qualifie de «super intéressants». C’est d’ailleurs ce qui lui a particulièrement plu dans cet outil, la possibilité de voir les audiences en action.
Les élèves ont aimé ça, et moi aussi! Ils ont été ravis par la simulation. C’était hyper engageant et passionnant!
«J’ai été surpris par la variété des points de vue et des profils des participants, renchérit-il. Il n’y a pas que l’expert en environnement capable d’en mettre plein la vue. Il y a aussi monsieur et madame Toulemonde, qui ont leurs préoccupations, leur vocabulaire, qui prennent la parole en leur propre nom. Ça a étonné les élèves aussi. Ils ont trouvé ça beau», commente-t-il. Olivier Bruchesi Boucher croit d’ailleurs que l’analyse des extraits de séances est ce que les jeunes ont préféré. Les notions enseignées (travailler l'intonation, éviter de lire un texte, etc.) ont alors pris tout leur sens.
Cela dit, l’exercice n’est pas facile: vocabulaire technique à assimiler, questions demeurant parfois en suspens par manque de temps pour faire plus recherche... Les jeunes auraient voulu davantage de textes réels, de perspectives différentes. L’enseignant souhaite réitérer l’expérience, mais il réaliserait l’activité plus tôt dans l’année pour la pousser encore plus loin. «J’irais dans un centre de tri avec les élèves, nous pourrions visiter un LET», illustre-t-il. Il bonifierait la trousse avec des textes sur des projets connexes pour avoir des comparables. Il aurait même envie de créer ses propres simulations d’audience sur d’autres enjeux d’actualité.
Autant dire que ce projet l’a bien inspiré. Reste à souhaiter que beaucoup d’autres enseignantes et enseignants suivent son exemple.
Les photos représentant des élèves ont été prises à l’école secondaire Joseph-François-Perrault, en décembre 2020.
Source de la photo d’Olivier Bruchesi Boucher: Fondation de l’UQAM